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  • Photo du rédacteurNathalie Popiolek

La DARPA à l'heure anglaise : le modèle de gestion en réflexion

Dernière mise à jour : 28 août 2021


Nous en sommes convaincus, pour accompagner la transition vers le « monde d’après », la recherche a un rôle phare à jouer que ce soit dans le domaine de la santé, de l’environnement, de l’énergie, des transports ou de l’agriculture, et les nations réfléchissent à la manière de financer un agenda de recherche aussi ambitieux. Cependant, la question ne doit pas être uniquement relative au budget (combien ?) mais elle doit également concerner l’organisation de la recherche : comment innover en rupture pour relever les grands défis sociétaux ?




Dans cet élan en faveur de la « rupture », nombreuses sont les politiques d’innovation qui, à travers le monde, se sont inspirées du fameux modèle de la DARPA (Defense advanced research projects agency)[1].


Citons par exemple le Japon qui a lancé dès 2014 le projet ImPACT (Impulsing paradigm change through disruptive technologies program) pour « promouvoir un changement de modèle à l’aide d’un programme de technologies novatrices ». En 2019, le programme Moonshot R&D prend la suite. Son objectif est de se projeter dans la « société 5.0 » centrée sur l'homme en conciliant à la fois la croissance économique et la résolution des défis sociétaux.


En Europe, c’est l’initiative JEDI (Joint European Disruptive Initiative) qui porte l’ambition de devenir leader mondial sur les technologies de rupture en mettant en réseau 4 100 leaders de l’écosystème deeptech dans 29 pays. A cet effet, le JEDI lance les Grands Défis technologiques.


En faveur du Brexit, le Royaume-Uni s’est penché lui aussi sur le sujet. Son projet UK ARPA a largement été débattu au Parlement, ce qui a donné au professeur en sciences de gestion Armand Hatchuel (Mines ParisTech/université PSL), un matériau précieux pour analyser les débats centrés autour de la question d’une organisation de la recherche qui soit favorable à l’innovation de rupture[2].


Les parlementaires ont souhaité éviter deux écueils :

1) se soumettre « aux canons de la beauté de la science » avec une organisation classique dans laquelle la recherche - financée principalement par subventions ou par appels à projet - est soumise à une évaluation par les paires : une telle organisation (conservatrice) ne fait pas suffisamment de place à la prise de risque et empêche l’exploration de voies nouvelles ;

2) répondre aux sollicitations des industriels : le pilotage par l’aval de la recherche privilégie l’exploitation des connaissances déjà établies pour atteindre un marché connu au détriment d’une recherche exploratoire visant l’inconnu et la rupture.


Le projet UK ARPA a l’ambition de lever ces deux contraintes afin de donner de la liberté aux chercheurs et de leur permettre de prendre des risques. Mais jusqu’à quel point ? Comment préserver à long terme cette indépendance sachant qu’il faudra bien décider des orientations stratégiques, faire des arbitrages sur les priorités ou encore évaluer la qualité des recherches? Certes les managers étroitement impliqués dans la sélection des projets travailleront directement avec les communautés de recherche et l'industrie. Mais comment vont-ils concilier dans la durée, à la fois les intérêts des décideurs politiques, des industriels et de la communauté scientifique ? Quelle sera la place des citoyens et de la société dans les arbitrages ? Comment concevoir des écosystèmes aptes à gérer l’innovation collective face aux « menaces communes » contemporaines? Quelles nouvelles relations imaginer entre la recherche et l’industrie pour s’affranchir des contraintes inhérentes à chaque modèle ? Quel rôle pour chacun ? Quelles compétences managériales ? Quel leadership ? Quels modèles économiques associés à la valorisation de la R&D ? etc.


Au-delà du débat politique et de l’analyse menée dans le champ de l’économie de la connaissance, voici une ouverture formidable pour des travaux de gestion, lesquels permettraient de clarifier comment mettre en place durablement une recherche qui soit axée sur l’innovation de rupture et qui accompagne les transitions. Comme le souligne Armand Hatchuel, les chercheurs français en sciences de gestion ont des éléments (théorie, méthodes, exemples) à apporter sur ce sujet et tout particulièrement pour la conception de nouveaux écosystèmes fondés sur des relations fructueuses entre l’industrie, la science et la société. Ils sont d’ailleurs largement impliqués dans l’édition 2021 de la « R&D Management Conference : Innovation in an Era of Disruption » (University of Strathclyde, Glasgow ), les 7 et 8 juillet. Les échanges fondés sur des réflexions théoriques et empiriques promettent d’être passionnants et utiles !

[1] Rappelons que la DARPA est une agence du département de la défense des États-Unis créée en 1958 pour harmoniser les travaux académiques et les avancées pratiques de l’armée américaine. Elle a été à l’origine de plusieurs innovations de rupture comme la naissance en 1969 d’ARPANET, l’ancêtre d’internet.

[2] voir Armand Hatchuel : « Une agence nationale pour l’innovation de rupture, pour faire quoi? », Chronique, Le Monde, 10 mars 2021 & Xerfi Canal, interview menée par Jean-Philippe Denis, 8 mai 2021.

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