C'est en résumé le sujet abordé en cours avec les cinquante étudiants de la nouvelle promotion du Master Économie de l'environnement, de l'énergie et des transports (M2 EEET) qui ont choisi de suivre le parcours Économie de l'énergie (géré par l'école des Ponts Paris Tech, les universités de Paris-Nanterre et de Paris-Saclay et par l'INSTN ainsi que l'IFP School). La première séance a eu lieu à l'INSTN de Saclay, jeudi 15 septembre 2022.
L'investissement, c'est une "gélification" progressive du capital
Nous savons que dans le secteur de l'énergie, les investissements sont très souvent capitalistiques et engagent les investisseurs sur des temps longs, c'est à dire 40 ans ou plus. Ainsi, avant de "gélifier" en capital physique, le capital dont ils disposent sous forme de liquidités, ils doivent analyser le contexte pour identifier les principaux risques et élaborer différents scénarios d'évolution, plus ou moins favorables. Parfois, même si les critères classiques de choix d'investissement sont au vert (Valeur actuelle nette (VAN) positive, Taux de rendement interne (TRI) favorable...), il peut être judicieux de retarder l'investissement jusqu’à ce qu'il y ait plus d’information. À moins que l'on ne mise seulement sur une petite tranche, laissant une bonne partie du capital encore liquide pour investir ailleurs au cas où.
Remise en cause de la puissance de la Valeur actuelle nette pour les choix d'investissement
En fait, l’analyse élémentaire des décisions d’investissement qui se traduit par l'utilisation de critère de type VAN, néglige une notion fondamentale pour l'investisseur: la flexibilité des choix comme par exemple la possibilité de reporter un projet sans pour autant y renoncer définitivement. Lorsque les conditions de réalisation du projet sont sujettes au risque ou à l’incertitude et qu’en outre la réalisation se caractérise par une irréversibilité de nature physique et/ou économique, cette possibilité de report devient cruciale.
La flexibilité revêt bien d'autres formes que l'attente: cela peut-être l'investissement par tranches, l'achat d'un terrain dans l'optique d'y construire un jour une centrale, la prise de participation dans une start-up, l'achat d'un brevet ou encore, sous certaines conditions, l'investissement dans la recherche.
Capter l’incertitude qui est source de richesse
Pour bénéficier de la flexibilité, il faut savoir s'organiser en échelonnant les décisions et en recueillant l'information nécessaire. Cela a un coût que l'économiste met en balance avec l'avantage que la flexibilité apporte à l'investisseur: celui de ne jamais perdre d'argent puisque dans le pire des scénarios, le gain est nul (une fois que l'on a payé l'option).
La possibilité de choisir élimine les cas défavorables au profit des cas favorables.
L'approche par options réelles est donc un outil puissant dans le cas où on ne sait pas, parmi plusieurs options, laquelle va l’emporter. Elle permet de contourner l'irréversibilité des projets en valorisant l’incertitude dans la règle de décision et dans l’évaluation des projets. L’incertitude est vue comme une source d’opportunités valorisable économiquement et financièrement pourvu que l’on adapte les méthodes de management des projets, ce qui nécessite une véritable culture de l'incertitude!
En résumé, l’option réelle confère le droit, et non l'obligation, de prendre une décision d'investissement relative à un actif sous-jacent non financier: actif réel (équipement, usine, projet R&D, brevet…). Encore faut-il manager les projets en valorisant le risque et l'information, ce qui demande une véritable culture de l'incertitude.
Les limites
Il convient toutefois de rappeler les conditions [1] (ou limites) de cette approche qui ne fonctionne que si l'on est en mesure d'expliciter les possibilités futures et que les scénarios en résultant soient dénombrables et calculables en termes de probabilités. Or cela devient difficile lorsque l'évolution du contexte dépend de facteurs très incertains voire totalement inconnus au moment de la prise de décision. Ce qui est souvent le cas, lorsque l'horizon est long... Cependant, rares sont les approches opérationnelles qui aident véritablement aux choix d'investissement énergétique en cas de très fortes turbulences. La théorie des options réelles utilisée depuis les années 1970 notamment dans le champ de l'environnement (par exemple: options liées à la sauvegarde d'un parc ou à la préservation de la biodiversité) apporte un plus indéniable.
Par ailleurs, l'approche par options réelles nécessite que l'information soit croissante. Comme l'écrit Claude Henry "on en saura plus demain sur après-demain que ce que l'on sait aujourd'hui"; par exemple, résultat d'une concertation européenne sur l'organisation des marchés de l'énergie (information gratuite), résultat d’une étude de marché (information payante), etc.
Enfin, elle suppose que l'option flexible existe. Or il n'est pas toujours possible d'opposer un investissement flexible à un investissement irréversible. Par exemple, il n'y a pas toujours un marché de l'occasion pour revendre l'équipement investi lorsque l'on s'aperçoit qu'il n'est pas aussi rentable qu'espéré.
À suivre...
Durant les prochaines séances, les étudiants réaliseront les études de cas et seront à même de calculer la valeur de l'option réelle associée aux choix de projets énergétiques, projets par nature risqués.
[1] Voir les conditions nécessaires pour appliquer la théorie des options réelles: Henry, Claude. “Investment Decisions Under Uncertainty: The ‘Irreversibility Effect.’” The American Economic Review 64, no. 6 (1974)
Comments