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Photo du rédacteurNathalie Popiolek

Regards internationaux sur la prospective et l'avenir du monde

Dernière mise à jour : 8 mars 2023

Une re-lecture en quatre questions de l’ouvrage collectif Futurs: Regards internationaux et pluridisciplinaires sur l’avenir du monde, dirigé par Carine Dartiguepeyrou et Michel Saloff-Coste, paru en 2022 chez ISTE éditions (Londres), Collection: Innovation, entrepreneuriat et gestion, Série: Innovation et technologies. Une traduction en anglais est à paraître.




Question 1: Comment pourrait on définir la prospective ?


L’ensemble des auteurs de l’ouvrage collectif Futurs s’entendent pour dire que la prospective est une philosophie de l’action. Elle s’oppose en cela à l’idée de destin. Le monde n’est pas déterministe. C’est comme l’électron en physique quantique qui est en suspens: il a la possibilité de devenir une onde ou une particule. Le choix n’est pas fait.


Au contraire, les romains croyaient au destin et utilisaient "le gérondif" comme forme grammaticale pour traduire un tel déterminisme: "Carthago delenda est" (littéralement, Cartage est devant être détruite). Les prospectivistes considèrent que le destin n’existe pas et que l’homme est libre de construire l’avenir.



Par ailleurs, il est intéressant de revenir sur la définition que donnait Yves BAREL en 1971 dans son ouvrage Prospective et analyse de systèmes. Pour cet économiste sociologue, la prospective puise ses racines dans la prophétie, l’utopie et la prévision.


C’est donc un peu de prévision. Dans l’ouvrage Futurs, Herman GYR et Lisa FRIEDMAN intitulent leur chapitre "Le choc des prévisions, la crise climatique". C’est important de pouvoir prévoir où l’on irait si l’on ne faisait rien, si l’on ne se réveillait pas ("la stratégie du choc").

Seulement les prospectivistes sont capables d’imaginer des scénarios alternatifs à ceux qui prolongent de façon quasi déterministe les tendances actuelles et qui mènent à notre perte. Et, pourvu qu’on y mette les moyens d’investigation nécessaires et une organisation adéquate qui fédère de nombreux intervenants, la démarche prospective est capable d’apporter des solutions pour atteindre cet avenir souhaitable. L’utopie contribue à cette démarche.


Marc LUYCKX GHISI va même plus loin. Il écrit (chapitre 10), "en faisant des scénarios positifs, les humains mettent en œuvre la causalité du futur qui va faire advenir ce scénario positif avec une plus grande probabilité".


Question 2: Quelle est la démarche prospective ?


Comprendre, Imaginer, Evaluer, Agir.

Comprendre: c’est voir large, de manière systémique et global. C’est se plonger dans l’histoire pour analyser les facteurs structurants (liées aux actions du passé) et repérer les inerties du système que l’on étudie. C’est bien comprendre le jeu des acteurs en présence. C’est faire une veille poussée. C’est repérer les grands enjeux, les faits porteurs d’avenir, les facteurs de risque et d’incertitude.


Imaginer: imaginer des scénarios différents des prévisions (la facette utopique de la prospective) et générer de nouvelles idées, des solutions en rupture, i.e. des solutions innovantes dont on a besoin pour faire le virage de la grande transition vers un monde durable.


Evaluer: grâce à la connaissance accumulée c’est évaluer l’impact global et systémique de nos actions (qui en quelque sorte colonisent le futur et engagent notre responsabilité).


Agir: c’est implémenter les solutions en concertation avec toutes les partites-prenantes.

Patrick SCAUFLAIRE, président-recteur de l’université Catholique de Lille, qui a rédigé la Préface de l’ouvrage, évoque la prospective "embarquée" qui tire sa force dans la mise en marche des acteurs mobilisés dans la construction d’un avenir souhaitable, dans la contribution au bien commun.


Pierre GIORGINI, auteur de la Postface, parle quant à lui de "prosp’active". Elle met en mouvement des communautés de prosp’activistes qui créent un avenir co-élaboré en marchant. Selon lui, l’action imaginative se déploie chemin faisant.


Il écrit que tout système vivant détient en lui des solutions innovantes pour éviter sa destruction. Des solutions qui naissent des liens d’une "intelligence collective dynamique".


Question 3: Comment la prospective peut-elle aider l’entreprise à innover en rupture ?


On reprend tout ce que l’on a dit précédemment et on l’applique à l’écosystème d’une entreprise.


Et en paraphrasant Marc LUYCKX GHISI qui écrit "tout projet politique sans vision d’avenir est condamné à mourir, comme ce fut le cas pour le puissant Empire romain", on peut dire que toute entreprise qui n’a pas une vision d’avenir inscrite dans le bien commun est condamnée à terme à mourir aussi.


Mais comment peut-elle composer avec les contraintes de rentabilité imposées par le système l’économique actuel? L’innovation doit lui permettre d’atteindre ses objectifs et Nathalie POPIOLEK montre chapitre 6 comment la démarche prospective peut l’aider à innover en faveur de cet avenir souhaitable.


L'auteure montre également qu’elle ne peut pas y arriver seule et doit bénéficier de l’alignement d’un grand nombre d’acteurs que ce soit au niveau local ou global (puissance publique, autorités locales, commissions de régulation, instances internationales, etc.).


Question 4: De quelles innovations les entreprises auront-elles besoin pour s’inscrire dans les objectifs de développement durable ?


En reprenant la typologie de Zhouying Jin (chapitre 8), nous dirions qu’il faut composer entre des innovations technologiques dures et des innovations technologiques douces.


L’auteure explique en effet qu’il existe deux approches à la résolution de problèmes:

  • l’une consiste à concevoir des solutions tangibles telles que des produits ("technologie dure");

  • l’autre à imaginer de nouveaux schémas intangibles tels que des règles, des procédures et des processus ("technologie douce").



Zhouying JIN donne comme exemples de technologies douces, la technologie économique (les business models), la technologie sociale, la technologie politique, la technologie culturelle, la technologie de conception institutionnelle, etc.


Grâce à sa vision globale et systémique, et parce qu’elle accorde une place importante à la concertation et à la co-création, la démarche prospective apporte une aide précieuse pour générer des technologies nouvelles - et tout particulièrement des technologies douces - qui s’adaptent à l’entreprise, à son environnement et à leur dynamique (valeurs, visions, atouts, forces, faiblesses, opportunités, menaces, tendances, ruptures) (cf. Nathalie POPIOLEK, chapitre 6).


Et dans un environnement très risqué, voire si le futur est inconnu, imprévisible, c’est-à-dire "inconnaissable" pour reprendre l’expression de Pierre GIORGINI, la prospective devient une puissance générative.


Il ne s’agit plus d’élaborer des scénarios plus ou moins probabilistes, plus ou moins scénarisés par l’analyse des données actuelles – bien que ce soit très utile aussi –, mais d’exercer une activité purement créative permettant de créer des scénarios disruptifs.


Aller dans "l’inconnaissable" par l’imaginaire, l’intuition et l’art… Par la poésie peut-être (comme le fait Georges Amar) pour nommer les concepts en mutations.


Pour citer Pierre GIORGINI, la prospective "devient un champ ouvert à la créativité, débarrassée de la malédiction dans laquelle la flèche du temps linéaire l’enferme."

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