Voici l’une des recommandations du Conseil général de l’économie (CGE) qui a rendu en février dernier son rapport sur « La décarbonation des entreprises en France »[1]. Deux des auteurs, Richard Lavergne et Benoît Legait donnent dans le numéro 656 (mai-juin 2021) de la Revue de l’Energie, un éclairage sur deux technologies qui ne sont pas encore matures : « Le CCS et l’hydrogène bas carbone pour décarboner l’industrie française ». Sur la base de ces documents, il nous a semblés intéressant de synthétiser des éléments de contexte concernant l’hydrogène bas carbone.
Pour plusieurs pays, dont la France, il s’agit là en effet, d’une pièce maîtresse de la stratégie visant à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 quand on sait que la production actuelle d’hydrogène utilise respectivement 6% et 2% de la production mondiale de gaz naturel et de charbon en rejetant dans l'atmosphère 830 millions de tonnes de CO2, soit environ 2,2 % du total mondial lié à l’énergie (données 2018[2]). A titre de comparaison la même année dans le secteur aérien, les vols commerciaux ont été responsables de l'émission de 895 Mt de CO2[3]. Ce qui compte bien entendu, c’est la dynamique d’évolution. Nous y viendrons à propos de l’hydrogène après la présentation l’offre et de la demande actuels.
Dans le monde la production d’hydrogène émet
presque autant de CO2 que le trafic aérien.
Photographie de l’offre d’hydrogène
En 2018, environ 115 Mt d’hydrogène étaient utilisées dans le monde, dont 70 Mt produites principalement à partir de gaz naturel (71 %) et de charbon (27 %) (voir tableau 1). La différence de 45Mt provient de l’hydrogène, sous-produit dans un certain nombre de procédés industriels tels que le reformage catalytique du naphte, l’électrolyse du chlore et de la soude, et le vapocraquage du propane[4].
Tableau 1 : Les différents moyens de production d’hydrogène « pur »
ainsi que leur coût indicatif (2018)
Sources : d’après CGE (2021) et IEA (2019), The future of hydrogen
Power-to-Gas-to-Power: un service rendu par l’électrolyse
Si la production d’hydrogène par électrolyse à partir d’électricité renouvelable ou nucléaire émet peu de CO2, elle nécessite un investissement dans des électrolyseurs dont le coût doit être amorti sur la durée d’exploitation. Or, bien que le prix des électrolyseurs tende à baisser, il n’en reste pas moins qu’un modèle économique soit à trouver pour valoriser le service rendu par cette technologie.
Dans le cas où l’hydrogène produit par électrolyse est utilisé pour stocker l’électricité provenant de sources intermittentes afin de la restituer par exemple grâce à une pile à combustible, un compromis favorable doit être trouvé entre l’amortissement de l’équipement (électrolyseur, pile à combustible, réservoir) - éventuellement diminué d’une subvention, les frais de maintenance - diminués éventuellement du coût des externalités environnementales positives - et sa durée d’utilisation pour équilibrer le réseau électrique. La rentabilité dépend ainsi des fluctuations du prix de l’électricité (différence entre le prix d’achat et celui de revente au réseau).
Malgré la difficulté à garantir aujourd’hui un modèle économique fiable, on entrevoit ici que l’hydrogène pourrait avoir sa place dans un système électrique accueillant des énergies renouvelables. Il faudrait mesurer la rentabilité de cette technologie ainsi que ses impacts environnementaux en comparaison avec les autres moyens de stockage comme les batteries dont le coût reste élevé.
Nous allons voir qu’une autre utilisation de l’hydrogène non carboné pourrait être l’industrie où il se substituerait à l’hydrogène gris, noir ou brun.
Quels sont les principaux usages de l’hydrogène aujourd’hui?
La demande d’hydrogène dans l’Union Européenne est estimée à 8,3 Mt/an en 2018. Elle résulte en grande partie de l’industrie chimie-pétrochimie-engrais qui l’utilise comme « matière première » (cf. tableau 2).
Tableau 2 : Demande d’hydrogène dans l’Union Européenne en 2018
Sources : d’après CGE (2021)
Substituer l’hydrogène gris (noir ou brun) majoritaire dans les usages actuels de l’hydrogène constitue une véritable opportunité pour décarboner l’industrie. Toutefois, d’autres usages potentiels peuvent également être explorés.
Les usages de l’hydrogène dans l’avenir
D’après le rapport ETC (2021) déjà cité, les utilisations potentielles de l’hydrogène dans une économie zéro-carbone peuvent être classées en quatre groupes en fonction du niveau de la demande potentielle et de la maturité des technologies mobilisées (cf. tableau 3) :
Tableau 3 : Les futurs usages potentiels de l’hydrogène
Sources : d’après CGE (2021) & ETC(2021)
Conclusion : quelles leçons pour la France ?
En France la consommation d’hydrogène (gris pour l’essentiel) est comprise entre 0,9 et 1 Mt/an. L’hydrogène bleu ou vert devrait pouvoir se développer d’ici 2050 particulièrement dans l’industrie chimie-pétrochimie-engrais et dans la sidérurgie qui produit chaque année 10 Mt d’acier brut. Un tel développement aurait un impact sur les besoins de production d’électricité. Quant aux autres usages, ils ne sont pas encore pleinement démontrés. Pourtant la rentabilité de la filière est tributaire de l’évolution de la demande. Pour permettre d’y voir plus clair, le rapport du CGE préconise la réalisation par l’ADEME d’une étude prospective des nouvelles technologies utilisant de l’hydrogène ainsi que des entreprises les plus pertinentes pour les utiliser. Il nous semble que la question de l’évolution à long terme de la consommation d’engrais azotés devrait être posée en raison de la pollution des rivières et des nappes phréatiques qu’elle entraine.
Pour cette vision prospective, nous rejoignons les recommandations faites dans le rapport de l’ETC (2021), à savoir de réfléchir à des stratégies axées sur des « clusters d’hydrogène » dans lesquels la production, le stockage, le transport et l’utilisation finale de l’hydrogène peuvent se développer simultanément. L’avantage est une meilleure connaissance de la demande locale d’hydrogène, le partage des coûts et la minimisation du besoin initial d’investissements dans les infrastructures de transport[5]. Il serait intéressant en effet de coupler la prospective avec une analyse territoriale des opportunités.
Concernant le Power-to-Gas-to-Power, il est primordial de ne pas additionner les coûts moyens de production annuels mais de tirer avantage à chaque instant des services rendus par l’hydrogène, notamment au réseau électrique. Ici encore l’approche territoriale et décentralisée, avec des équipements de faible capacité, devrait être examinée pour certains scénarios de transition…
Références
[1] CGE (2021)°: Richard LAVERGNE, Benoît LEGAIT, Emmanuel CLAUSE, Edouard de ROCCA, Vincent CHRIQUI, N° 2020/01/CGE/SG/TS, Paris, Février
[2] Energy Transitions Commission (ETC) (2021) “Making the hydrogen economy possible: Accelerating clean hydrogen in an electrified economy”, Avril
[3] Air Transport Action Group (ATAG), “Facts & figures” [archive].
[4] IEA (2019), The future of hydrogen
[5] L’hydrogène doit être comprimé pour être transporté et stocké. Ces opérations ont un impact direct sur l’économie de l’hydrogène.
Notes à propos du tableau 1
a Le rapport l’Académie des technologies (2020), « Rôle de l’hydrogène dans une économie décarbonée : Synthèse et recommandations de l’académie des technologies » donne une fourchette supérieure : 3,0 à 4,5 €/kg.
b L’hydrogène, vecteur énergétique : opportunités et défis, IFPEN, Le point sur, 2017.
Note à propos du tableau 3
D’après l’Académie des technologies (2020), le Power-to-Gas-to-Power se heurte à des obstacles importants tenant aux volumes considérables des stockages d’hydrogène requis et au faible facteur de charge des électrolyseurs et piles à combustible de la chaîne « conversion-stockage-conversion ».
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